Les Douaniers

Première édition

La nouvelle a été publiée pour la première fois dans Le Bien Public du 11 février 1873 avant de paraître dans le recueil Robert Helmont en 1874.

Au même titre que « Les Étoiles », « Les Sauterelles », « Les Oranges » et « En Camargue », le texte des « Douaniers » figure désormais dans l’édition Lemerre des Lettres de mon moulin (1879).

Résumé

La nouvelle évoque les conditions particulièrement difficiles des douaniers dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sur
l’Émilie, le petit Bonifacien Palombo a attrapé une pountura c’est-à-dire une pleurésie. On accoste près d’un poste de douane où vit une
famille misérable, mais il n’y a pas de médecin avant Sartène. Le pauvre Palombo, auparavant le plus gai et le plus joyeux de tous les douaniers, est en train de mourir loin des siens en se plaignant doucement.

Extrait

Le bateau l’Émilie, de Porto-Vecchio, à bord duquel j’ai fait ce lugubre voyage aux îles Lavezzi, était une vieille embarcation de la douane, à demi pontée, où l’on n’avait pour s’abriter du vent, des lames, de la pluie, qu’un petit rouf goudronné, à peine assez large pour tenir une table et deux couchettes. Aussi il fallait voir nos matelots par le gros temps. Les figures ruisselaient, les vareuses trempées fumaient comme du linge à l’étuve, et en plein hiver les malheureux passaient ainsi des journées entières, même des nuits, accroupis sur leurs bancs mouillés, à grelotter dans cette humidité malsaine ; car on ne pouvait pas allumer de feu à bord, et la rive était souvent difficile à atteindre… Eh bien, pas un de ces hommes ne se plaignait. Par les temps les plus rudes, je leur ai toujours vu la même placidité, la même bonne humeur. Et pourtant quelle triste vie que celle de ces matelots douaniers !

Presque tous mariés, ayant femme et enfants à terre, ils restent des mois dehors, à louvoyer sur ces côtes si dangereuses. Pour se nourrir ils n’ont guère que du pain moisi et des oignons sauvages. Jamais de vin, jamais de viande, parce que la viande et le vin coûtent cher et qu’ils ne gagnent que cinq cents francs par an ! Cinq cents francs par an ! Vous pensez si la hutte doit être noire là-bas à la marine, et si les enfants doivent aller pieds nus !… N’importe ! Tous ces gens là paraissent contents. Il y avait à l’arrière, devant le rouf, un grand baquet plein d’eau de pluie où l’équipage venait boire, et je me rappelle que, la dernière gorgée finie, chacun de ces pauvres diables secouait son gobelet avec un « Ah !… » de satisfaction, une expression de bien-être à la fois comique et attendrissante.

Le plus gai, le plus satisfait de tous, était un petit Bonifacien hâlé et trapu qu’on appelait Palombo. Celui-là ne faisait que chanter, même dans les plus gros temps. Quand la lame devenait lourde, quand le ciel assombri et bas se remplissait de grésil, et qu’on était là tous, le nez en l’air, la main sur l’écoute, à guetter le coup de vent qui allait venir, alors, dans le grand silence et l’anxiété du bord, la voix tranquille de Palombo commençait :

Non, monseigneur

C’est trop d’honneur.

Lisette est sa… age,

Reste au villa… age…

Et la rafale avait beau souffler, faire gémir les agrès, secouer et inonder la barque, la chanson du douanier allait son train, balancée comme une mouette à la pointe des vagues. Quelquefois le vent accompagnait trop fort, on n’entendait plus les paroles ; mais, entre chaque coup de mer, dans le ruissellement de l’eau qui s’égouttait, le petit refrain revenait toujours :

Lisette est sa… age,

Reste au villa… age…

Liens

Consulter l’œuvre intégrale (gallica.fr)

Écouter la nouvelle (litteratureaudio.com) – Donneuse de voix : Romy Riaud