Parution – Provence et Languedoc à l’Opéra en France au XIXe siècle

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« Il faut méditerraniser la musique. » Lorsque Nietzche exhorte ses contemporains à se détacher de Wagner en 1888, Carmen et Bizet restent ses modèles absolus. Mais le philosophe vante avant tout les bienfaits du Midi auxquels de nombreux compositeurs sont également sensibles en fêtant, plus particulièrement au tournant des xixe et xxe siècles, deux régions : la Provence et le Languedoc.

Fruit d’un colloque qui s’est tenu à Saint-Étienne puis à Nîmes, cette publication étudie la présence et la représentation de cette double influence dans la conception et la réalisation d’ouvrages lyriques français, désormais plus ou moins connus. Dans le sillage du félibrige, incarné par Mistral, mais aussi du réalisme littéraire et pictural, ces œuvres tracent les contours d’un espace-temps mettant en récit et en scène l’histoire nationale et régionale. De Belzebuth (1841) de Castil-Blaze jusqu’aux opéras-comiques de Poise ou opérettes d’Audran, de Sapho (1897) de Massenet au Cœur du moulin (1909) ou Héliogabale (1910) de Séverac, des Dragons de Villars (1856) de Maillart aux Barbares (1901) de Saint-Saëns, en passant par les emblématiques Mireille (1864) de Gounod ou Arlésienne (1872) de Daudet et Bizet, les exemples réunis dans ce livre témoignent d’une fascination renouvelée pour ces territoires et leur culture.

Au cours de seize chapitres, des historiens et des musicologues proposent une réflexion qui, en étudiant les divers aspects de cet engouement, participe de l’histoire culturelle.

Jean-Christophe BRANGER et Sabine TEULON LARDIC, Provence et Languedoc à l’opéra en France au XIXe siècle : cultures et représentations, Saint Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2017.

Recensions :

Roger Ripoll, Le Petit Chose, n°106, 2017, p. 241-243.

Ce volume important (403 pages) réunit les communications présentées dans un colloque qui s’est déroulé en deux journées, l’une à l’Opéra de Saint-Étienne le 15 février 2014, l’autre au Carré d’Art de Nîmes le 20 décembre 2014.

Une introduction très développée, due à Sabine Teulon Lardic et à Jean-Christophe Branger, présente la situation historique, qui est celle du XIXe siècle vu plus particulièrement dans sa seconde moitié, et définit les enjeux propres à cette période. Quatre axes de réflexion sont dégagés, à quoi correspondent les quatre parties de l’ouvrage : « Régionalisme et Félibrige », « Affrontements et résistances », « Traverser les genres : entre opéra, opérette et musique de scène », « Peindre et mettre en scène la Provence et le Languedoc ». Dans ce cadre sont abordées les œuvres de nombreux musiciens : Gounod, Poise, Déodat de Séverac, Saint-Saëns, Maillart, Castil-Blaze, Audran, Bizet, Massenet. Cette simple énumération donne déjà une idée de la richesse de l’ouvrage. À côté d’œuvres célèbres sont tirées de l’oubli ou reconsidérées des œuvres peu jouées (un exemple extrême est celui de Belzébuth ou Les Jeux du roi René, de Castil-Blaze, qui, en dehors de sa création à Montpellier en 1841 et d’une reprise à Bruxelles l’année suivante, n’a connu que des exécutions partielles en concert), ou dont le succès ne s’est pas prolongé jusqu’à nos jours (c’est le cas des Dragons de Villars, de Maillart, opéra-comique très souvent représenté au XIXe siècle et délaissé à notre époque). En même temps on constate la variété des démarches adoptées par les contributeurs : exposés historiques, études de genèse, confrontations de documents, lectures d’exemples musicaux, analyses de livrets…

Un trait frappant de la production lyrique ainsi examinée réside dans la prédilection des auteurs et des compositeurs pour le passé de la Provence et du Languedoc. Un passé parfois très reculé : des entreprises ambitieuses comme l’Héliogabale de Déodat de Séverac ou Les Barbares de Camille Saint-Saëns trouvent leur inspiration dans l’antiquité. Plus fréquemment, c’est le Moyen-Âge (avec la figure du roi René) ou c’est l’époque classique (règne de Louis XIII dans Les Noces d’Olivette d’Audran, premières années du XVIIIe siècle dans Les Dragons de Villars). Au poids des conventions si fortes dans le théâtre lyrique et à une certaine frilosité devant les particularités régionales s’ajoute vers la fin du XIXe siècle un désir d’exalter la latinité en face d’une Germanie menaçante. Toutefois, cette situation dans une histoire plus ou moins éloignée n’exclut pas nécessairement la mise en œuvre d’éléments folkloriques. Dans un cas au moins le choix des instruments est en jeu : dans Héliogabale, Déodat de Séverac joint à l’orchestre la cobla catalane. Plus souvent, il s’agit d’airs empruntés à la tradition provençale : dans Belzébuth, Castil-Blaze, mettant en scène les jeux qui accompagnent la Fête-Dieu à Aix-en-Provence, utilise des danses populaires ; ailleurs, ce sont des airs isolés qui se trouvent insérés dans l’œuvre (par exemple dans Les Dragons de Villars ou dans Gillette de Narbonne d’Audran).

Cependant il convient de signaler plus spécialement aux lecteurs du Petit Chose les études portant sur les compositeurs et les librettistes qui ont évoqué la Provence de leur temps. Ici, du reste, une place non négligeable est accordée à Daudet. Sans doute, il faut d’abord mentionner les communications ayant trait à un contexte qui ne lui était assurément pas indifférent, compte tenu de son amitié pour Mistral et de ses goûts musicaux : Philippe Martel analyse « l’empreinte sociale et culturelle du Félibrige dans le domaine musical », et Gérard Condé considère « la Provence de Mireille de Gounod ». Mais plusieurs études concernent directement Daudet. Ce sont celles de Sabine Teulon Lardic (« Les Absents (1864) d’Alphonse Daudet et Ferdinand Poise : culture provençale transposée pour la scène parisienne »), de Hugh Macdonald (« Bizet et la Provence : autour de L’Arlésienne »), de Jonathan Parisi (« Mettre en scène la Provence : les exemples de Sapho et de Grisélidis de Massenet »). On trouvera d’utiles compléments dans une autre communication de Sabine Teulon Lardic (« La Chanson provençale : écologie de l’opéra-comique méridional(iste) au XIXe siècle »). Ainsi, une analyse détaillée de la façon dont sont campés les personnages et du cadre dans lequel ils sont placés, montre qu’il faut voir dans Les Absents une esquisse de ce qui sera plus systématiquement réalisé dans les Lettres de mon moulin, tandis que Poise exploite certains aspects de la tradition musicale de la Provence. Daudet lui-même a d’ailleurs donné la preuve de son intérêt pour cette tradition à l’époque de L’Arlésienne : comme le note Hugh Macdonald, c’est lui qui a fait connaître à Bizet l’ouvrage de Vidal sur le tambourin (s’était-il servi peu avant du même ouvrage pour rappeler à Buisson le répertoire traditionnel que ce tambourinaire négligeait ?).

Dans leur diversité, les contributions rassemblées dans ce volume apportent de nouveaux éclairages sur des questions qui nous préoccupent. Ceux qui s’intéressent à Daudet doivent en profiter.

France Musique : Sous la couverture émission de Philippe Venturini 23 septembre 2017