Première publication
Le récit a été publié pour la première fois dans L’Événement du 21 septembre 1866.
Repris dans le recueil des Lettres de mon moulin (1869).
Résumé
Daudet rend visite à Mistral à Maillane et découvre Calendal, l’œuvre poétique que son ami est sur le point de terminer. À la façon d’un reportage mêlant réalité et fiction, l’auteur du récit met en évidence la solide amitié qui l’unit à Mistral en évoquant leur destinée commune d’homme de lettres et montre également le caractère festif des mœurs provençales.
Extrait
« Comment ! c’est toi ? cria Mistral en me sautant au cou ; la bonne idée que tu as eue de venir !… Tout juste aujourd’hui, c’est la fête de Maillane. Nous avons la musique d’Avignon, les taureaux, la procession, la farandole, ce sera magnifique… La mère va rentrer de Ia messe ; nous déjeunons, et puis, zou ! nous allons voir danser les jolies filles. »
Pendant qu’il me parlait, je regardais avec émotion ce petit salon à tapisserie claire, que je n’avais pas vu depuis si longtemps, et où j’ai passé déjà de si belles heures. Rien n’était changé. Toujours le canapé à carreaux jaunes, les deux fauteuils de paille, la Vénus sans bras et la Vénus d’Arles sur la cheminée, le portrait du poète par Hébert, sa photographie par Étienne Carjat, et, dans un
coin, près de la fenêtre, le bureau – un pauvre petit bureau de receveur
d’enregistrement -, tout chargé de vieux bouquins et de dictionnaires. Au milieu de ce bureau, j’aperçus un gros cahier ouvert… C’était Calendal, le nouveau poème de Frédéric Mistral, qui doit paraître à la fin de cette année, le jour de Noël. Ce poème, Mistral y travaille depuis sept ans, et voilà près de six mois qu’il en a écrit le dernier vers pourtant, iI n’ose s’en séparer encore. Vous
comprenez, on a toujours une strophe à polir une rime plus sonore à trouver… Mistral a beau écrire en provençal, iI travaille ses vers comme si tout le monde
devait les lire dans la langue et lui tenir compte de ses efforts de bon ouvrier…
Oh ! le brave poète, et que c’est bien Mistral dont Montaigne aurait pu dire : « Souvienne-vous de celui à qui, comme on demandoit à quoy faire il se peinoit si fort en un art qui ne pouvoit venir à la cognoissance de guère des gens, “J’en ay assez de peu, répondit-il. J’en ay assez d’un. J’en ay assez de pas un.” »Je tenais le cahier de Calendal entre mes mains, et je feuilletais, plein
d’émotion… Tout à coup une musique de fifres et de tambourins éclate dans la rue, devant la fenêtre, et voilà mon Mistral, qui court à l’armoire, en tire des verres, des bouteilles, traîne Ia table au milieu du salon, et ouvre la porte aux
musiciens en me disant : « Ne ris pas… iIs viennent me donner l’aubade… je suis conseiller municipal. »La petite pièce se remplit de monde. On pose les tambourins sur les chaises, la vieille bannière dans un coin ; et le vin cuit circule. Puis quand on a vidé quelques bouteilles à la santé de M. Frédéric, qu’on a causé gravement de la fête, si la farandole sera aussi belle que l’an dernier, si les taureaux se comporteront bien, les musiciens se retirent et vont donner l’aubade chez les autres conseillers.
Liens
Consulter l’œuvre intégrale (gallica.fr)
Écouter le récit (litteratureaudio.com) – Donneuse de voix : Romy Riaud