21.05.2016 – Colloque de Fontvieille – Les Amis de Daudet

Le colloque « Daudet, l’Histoire et la politique » s’est tenu à Fontvieille les 21 et 22 mai 2016. Cette rencontre rassemblant une quinzaine de chercheurs a permis d’explorer le rapport de l’écrivain à l’Histoire, une question importante alors que le roman entre en rivalité avec le récit historique et que de nouveaux genres se constituent, où la place de la fiction et le traitement des données réelles se déclinent en variations multiples.

Les actes du colloque ont été rassemblés dans la revue de l’Association des Amis d’Alphonse Daudet, Le Petit Chose, n°105, 2016

Flyer colloque 2016Présentation

Les écrivains réalistes sont souvent perçus comme les historiens du présent. Dans l’œuvre romanesque de Daudet, Histoire et fiction se mêlent mais bien souvent, il ne faut chercher dans les précisions chronologiques apportées que des scansions du récit, des effets de vraisemblance. Ce sont les destins individuels qui dominent et l’attachement du romancier au quotidien commande le traitement de l’Histoire. On retrouve cette priorité dans la prééminence dans son œuvre de ce qu’il faut appeler la « petite histoire », en marge des piliers traditionnels de l’Histoire que sont les événements et les biographies des grands hommes. Daudet retient les anecdotes et les faits divers, attentif aux répercussions de l’Histoire sur la vie privée, au besoin il invente de « micro-événements vraisemblables ».

Daudet a été le témoin d’épisodes authentiquement historiques : la guerre de 1870, le Siège de Paris et la Commune. Ses souvenirs – à peine refroidis – nourrissent des chroniques « saisies sur le vif » sur le modèle du carnet ou du journal intime. Des textes à portée testimoniale – Contes du lundi, Lettres à un absent – cohabitent avec des pages presque contemporaines, poétiques et même oniriques, Robert Helmont. L’expérience de la guerre a été pour Daudet diplopique, « une matière froide » mais aussi l’occasion de susciter « une émotion nue ». Daudet a été sensible à l’importance des enfants pris dans les turbulences de l’Histoire. Ces événements tragiques font d’eux des victimes innocentes mises en scène dans des récits pathétiques ; la guerre se lie aussi à la robinsonnade, cette « conquête d’un univers sans père ». Le refuge de la cave est un lieu de transgressions où peut s’épanouir un héroïsme enfantin ; ces textes ambivalents où les bons sentiments ont pour contrepoint la moquerie, sinon l’ironie, ont pu servir une certaine pédagogie de l’Histoire. Si Daudet privilégie les obscurs, il n’a pu échapper à la fascination d’un personnage historique de premier plan Napoléon. L’empereur lui échappe mais faute d’apparaître dans un roman historique, il traverse l’œuvre comme une « figure en creux ». Il est évoqué comme un homme ordinaire afin de « retrouver une humanité trop souvent ignorée de l’épopée », mais dans les jeux de Port-Tarascon, l’écriture héroï-comique rappelle que pour le sceptique Daudet le récit de l’histoire ne peut exister que sur le mode de la fantaisie. C’était déjà le sous-titre du premier recueil des Contes du lundi.

Daudet a souvent dit son indifférence pour la politique affirmant que l’homme de lettres doit se tenir à l’écart. Mais ce désintérêt affiché n’exclut pas qu’il ait réagi face aux événements historiques : la chute de l’Empire et le siège de Paris transformèrent le boulevardier viveur et sceptique en un patriote. De nombreux romans, où la vie parlementaire se trouve caricaturée, attestent de la sensibilité conservatrice de l’écrivain qui s’accentue avec les affaires et les scandales du denier quart de siècle. L’analyse des interviews permet aussi de mieux cerner ses idées même s’il évite de prendre parti, par exemple au tout début de l’affaire Dreyfus qui, pour le grand public, éclate quelques jours avant sa mort. On peut également le situer sur l’échiquier politique en le comparant à Coppée dont il fut très proche à de nombreux égards. Par ailleurs, il était intéressant de s’interroger sur la place que son œuvre – lue dans toutes les écoles de la IIIe République – prenait dans ce que Michelet appelle le « roman national ».

Cette exploration des liens entre Histoire et politique permet de mieux resituer une œuvre et une pensée trop souvent mal connues et parfois déformées.

Anne-Simone Dufief